Nous avons perdu un grand ami : Pierre Carnac

Le jour où une dame charmante, d’une petite voix, demanda après moi en se présentant au téléphone comme étant la compagne de Doru Todericiu, j’eus un pincement au cœur. Car Doru était le véritable patronyme de Pierre Carnac, et c’était toujours lui qui m’appelait depuis son bourg normand de Saint-Langis-les-Mortagne pour m’annoncer de nouvelles découvertes bouleversant l’Histoire et me parler de ses manuscrits en cours (toujours au moins trois !). Rescapé des sinistres geôles de Ceaucescu — ce guignol qui s’était autoproclamé “génie des Carpates” —, Doru était quasi plié en deux par les rhumatismes et le mal au dos. Au cours d’une promenade, ce fut la chute : il ne se fractura rien mais subit des lésions internes gravissimes et quitta ce monde quelques jours après, le 9 avril dernier.

Né en 1921, chimiste de formation, il avait un doctorat ès Lettres et Sciences Humaines ; ancien chargé de cours au CNRS, son autre doctorat en Histoire l’avait fait reconnaître internationalement pour ses travaux dans le domaine de l’histoire de l’astronautique. À l’âge de 35 ans, il fut traumatisé à vie en étant le témoin oculaire de la mort accidentelle atroce de deux de ses enfants, brûlés vifs dans un accident de voiture. D’autres se seraient créé une carrière de victime, lui non : faisant preuve de la résilience chère à Boris Cyrulnik, il opéra un retour à la vie par une véritable stratégie de récupération. Passionné par l’histoire de la navigation intercontinentale avant Colomb, il se fit connaître en France par «L’Histoire commence à Bimini » (1973) et «Les Conquérants du Pacifique » (1975). 1973 coïncidait avec la naissance de Kadath et 1975 avec la création d’un comité d’honneur de la revue (14). Ami de la première heure, il y figurait en bonne place. Dès le n° 23 (1977) paraissait son premier article dans nos colonnes, nous faisant découvrir le site archéoastronomique de Sarmisegethusa Regia dans sa chère Roumanie. De nombreux autres suivront, jusqu’à son chant du cygne qu’il nous avait confié fin 2005 et que nous avions fignolé ensemble - il faut savoir que c’était au départ un article de 11 pages agrémenté de 41 notes, dont certaines étaient de véritables paragraphes ou phrases à intercaler en bonne place ! Cette théorie sur l’hominisation était pour lui d’une telle importance qu’il l’avait fait enregistrer et que, pour la première fois (à 84 ans), il reprenait son véritable patronyme pour la signer. L’article parut dans le numéro précédent, et notre ami Gérard Deuquet lui rendit hommage à sa façon en lui consacrant son dessin de couverture. Paru le 21 mars dernier, j’eus un moment d’angoisse : avait-il pu le lire ? Oui, me rassura sa compagne et il était aux anges, mais n’avait plus pu me le faire savoir. Peu de temps auparavant, suite à une découverte archéologique importante et qui était dans ses cordes (il en avait parlé dans «Christophe Colomb et ses fantômes » en 2006), le journal de France 2 s’était déplacé pour lui demander de la commenter : c’était le début, bien tardif, d’une consécration. Malheureusement, nous ne connaîtrons jamais le livre qu’il préparait sur «la science avant la Science » - ces découvertes venues trop tôt et que l’Histoire a oubliées.

Combien de fois ne m’avait-il pas dit que telle ou telle publication scientifique démontrait que nous étions dans le vrai - “depuis le début”, ajoutait-il, et il en était fier. Nous le pensons aussi, Doru et te remercions pour le rôle de mentor que tu fus pour nous au cours de ces 35 années passées ensemble. C’est pour toi que nous continuerons.

Ivan Verheyden
pour l’équipe de Kadath

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