Ivan
Verheyden
« Si vous abandonnez ces faits, prenez garde, les charlatans s’y logeront, et les imbéciles aussi. Pas de milieu : la science, ou l’ignorance. Si la science ne veut pas de ces faits, l’ignorance les prendra (...) De quel droit, d’ailleurs, dites-vous à un fait : va-t-en ? De quel droit dites-vous à l’inattendu : je ne t’examinerai pas ? » (Victor Hugo)
Le passé de l’archéologie nouvelle que nous tentons de valoriser est jonché de héros aussi bien que de potaches, de martyrs autant que d’imposteurs qui se prétendent martyrs, d’amateurs éclairés que de doux rêveurs, d’illusionnistes autant que d’illusionnés. Rome non plus ne fut pas construite en un jour. Les rétroactes remontent à loin, mais contentons-nous de quelques balises et de leurs limites... Dans la littérature, on avait vu apparaître des textes d’inspiration théosophique, rosicrucienne, franc-maçonnique, néo-templière, traditionnaliste, tous sur le ton de la révélation : il fallait les croire sur parole, et accorder sa confiance à ceux censés leur avoir soufflé ou transmis des secrets cachés depuis la nuit des temps, qu’ils aient été initiés tibétains ou pharaons transis. Fort bien : cela ravive l’imagination faute de pouvoir servir de référence.
Le premier à avoir voulu étudier un problème en cherchant par lui-même et en s’armant de références solides fut Ignatius Donnelly, un congressiste américain qui avait décidé que l’Atlantide de Platon n’était définitivement pas un mythe et qu’il fallait, pour le démontrer, en rechercher des traces dans tout ce que les sciences de son temps pouvaient lui apporter. Qu’il ait fallu attendre le XIXe siècle pour que germe cette idée ne prouve pas que l’Atlantide soit une invention de cette époque : il avait fallu le même délai pour que Schliemann émette le même postulat pour la Troie d’Homère...
Un autre personnage curieux, mais qu’il eût fallu inventer s’il n’avait pas existé, ce fut Immanuel Velikovsky : psychanalyste de son état, il se mit en tête que les textes sacrés, et particulièrement la Bible, véhiculaient, comme cadre à leur enseignement, des événements catastrophiques ayant frappé la Terre et bousculé les civilisations naissantes. En cela, il fut lui aussi un pionnier, mais commit l’erreur de croire que les connaissances rudimentaires de son époque, particulièrement dans le domaine de l’astronomie, allaient lui permettre de brosser le tableau de planètes se frôlant ou entrant en collision, et pour lesquelles il livrait aussi bien le nom que les dates et les lieux des événements. Du coup, il se planta lamentablement et devint la risée des archéologues. Pourtant, c’est grâce à lui que le catastrophisme fit son entrée en archéologie, avec le succès que l’on sait.
Entre-temps s’étaient manifestées diverses dérives du fait de personnages qui s’engouffrèrent dans la brèche, tout en rechutant dans le même péché originel de l’archéologie dite parallèle : il fallait les croire sur parole. Et ce furent les élucubrations de Denis Saurat, James Churchward, Edgar Cayce, Georges Barbarin, George Hunt Williamson, Brinsley Le Poer Trench, et j’en passe. Assez bizarrement, ils étaient souvent liés, soit à l’ésotérisme soit à l’ufologie naissante, de quoi créer un mélange détonnant où on allait se mettre à tout mélanger. Heureusement d’autres, déjà, travaillaient dans l’ombre, patiemment, et nous les retrouverons plus tard... Le phénomène déclencheur vis-à-vis du grand public fut, nous le rappelons souvent, « Le matin des magiciens » de Louis Pauwels et Jacques Bergier (1960) : un des chapitres de ce best-seller inattendu était consacré aux civilisations disparues et rappelait l’existence toujours inexpliquée de lieux comme Nazca, l’île de Pâques, les pyramides, Baalbeck, la carte de Pirî Ra’ïs, le calendrier maya, les mégalithes, Tiahuanaco, les engins aériens dans les textes sacrés, etc. Mais modestes, ils concluaient : “II y a quantité de bêtises dans le bouquin de Pauwels et Bergier. Voilà ce que l’on dira. Mais si c’est ce bouquin qui a donné envie d’aller y voir de plus près, nous aurons atteint notre but.” Le terrain fut cependant, une fois de plus, envahi par des auteurs non aguerris, avides de récupérer ces sujets mais ignorants en archéologie, et de ce fait créant la confusion la plus totale dans les esprits en mêlant allègrement les faits réels aux interprétations délirantes : on reconnaîtra aisément ici Robert Charroux et Erich Von Däniken, pour ne citer que les plus emblématiques. (D’autres, comme Peter Kolosimo, Andrew Tomas ou W. Raymond Drake, se montrèrent plus consciencieux.)
La confusion était devenue telle que les auteurs du Matin des Magiciens décidèrent de nettoyer les écuries d’Augias de leur domaine et ce fut, en 1970, la parution de « L’Homme éternel », premier tome d’une suite (qui ne vit jamais le jour) de thèmes “fortéens”. Préludant à notre cause, l’ouvrage traitait de Stonehenge, des cartes des anciens rois de la mer, du mythe d’Oannès à l’origine de la civilisation sumérienne, de la mécanique d’Anticythère ou des piles de Bagdad. Notre décision était prise : nous allions répondre à leur appel et reprendre le flambeau. Et ce fut mars 1973. Ceux qui nous inspirèrent n’étaient pas à rechercher dans les limbes d’une révélation quelconque : ils apportaient sur un plateau leurs preuves ou pour tout le moins leurs arguments, vérifiables, référencés – pas les mystérieuses tablettes de Niven que personne n’a jamais vues sinon Churchward, ou les rêveries dans lesquelles Cayce se retrouvait dans la peau d’un prêtre atlanto-égyptien dont il était la réincarnation. Ces hommes, qu’on peut baptiser de “pères fondateurs”, en voici quelques-uns ; tous ne figurent pas ici, tandis que certains ne sont apparus sur la scène qu’au cours des trente ans de notre existence. Nombre des textes fondateurs étaient inconnus chez nous, parce que non traduits en français. Nous les revendiquons comme tels, non pour la certitude nécessairement démontrée de leurs interprétations ou conclusions, mais pour l’ouverture d’esprit dans la démarche et l’apport précieux aux progrès de cette archéologie non inféodée au politiquement correct.
Il est bon de rappeler que, pour certains de ces pionniers, bardés de diplômes, c’était risquer gros que de s’engager ainsi ouvertement : songeons simplement à Giorgio de Santillana qui était professeur d’histoire des sciences au Massachusetts Institute of Technology (le prestigieux MIT), à Alexander Marshack, chargé de recherches au Peabody Museum de l’université de Harvard, ou encore André Capart, professeur d’océanographie à l’université de Louvain. La nouveauté, c’est que, au fil du temps, presque tous les émules se manifestent maintenant au sein même des institutions les plus renommées : ce ne sont plus des “amateurs éclairés” qui s’expriment mais bien des professionnels, chacun dans sa spécialité. Et cela, c’est une victoire inespérée pour ceux qui défendent la même cause que nous.
Pour en venir à notre bilan à nous, le voici : près de 4800 pages rédactionnelles, soit plus de 550 articles centrés sur ces recherches. Ce n’est cependant pas un bilan synonyme de conclusions – l’archéologie est un terrain en mouvance perpétuelle. Notre objectif ce sont, encore et toujours, nos rubriques, car elles ck, chargé de recherches au Peabody Museum de l’université de Harvard, ou encore André Capart, professeur d’océanographie à l’université de Louvain. La nouveauté, c’est que, au fil du temps, presque doivent nous aider à progresser vers ces bilans partiels qu’il faut toujours rêver d’atteindre. Un bref survol de celles-ci permet de distinguer, au travers de leur évolution, la voie qui a été suivie jusqu’ici.
Il est bon de rappeler que, pour certains de ces pionniers, bardés de diplômes, c’était risquer gros que de s’engager ainsi ouvertement : songeons simplement à Giorgio de Santillana qui était professeur d’histoire des sciences au Massachusetts Institute of Technology (le prestigieux MIT), à Alexander Marshatous les émules se manifestent maintenant au sein même des institutions les plus renommées : ce ne sont plus des “amateurs éclairés” qui s'expriment mais bien des professionnels, chacun dans sa spécialité. Et cela, c’est une victoire inespérée pour ceux qui défendent la même cause que nous.
Quel message lancer aujourd’hui, après plus de trente ans de “fichage“ de l’archéologie parallèle ? Que tout va dans le sens de notre intuition première : il s’est passé bien plus qu’on n’a voulu nous le faire croire, et cela se confirme tous les jours. Mais l’autre enseignement pour nous, c’est : prudence ! D’aucuns voudraient nous voir paraître à nouveau tous les deux ou trois mois, voire plus souvent encore, à l’instar de certaines nouvelles revues balbutiantes où l’on voit renaître la confusion des genres ainsi que de nouvelles approximations. Ceci était hélas prévisible : une nouvelle génération émerge, qui n’a jamais connu le contexte dans lequel est née Kadath. Or aujourd’hui, le problème est plutôt dans la multiplication des publications, dans toutes les langues et assurées d’une diffusion instantanée via l’Internet. Mais gare : l’événementiel et l’urgence prennent trop souvent le pas sur la réalité et l’authenticité des faits. Comme les langues d’Esope, le web peut être la meilleure ou la pire des choses : dans ce dernier cas, il serait l’équivalent contemporain et universel de l’éternelle “rumeur” (et ne parlons pas des forums de discussion, où personne n’est responsable de rien !). Il nous a fallu des décennies pour séparer le bon grain de l’ivraie, et nos articles ne sont pas du type “journalistique”. Notre périodicité actuelle de huit mois en moyenne (trois numéros sur deux ans) nous semble bien nécessaire pour prendre le temps de vérifier et, surtout, de disposer de tous les éléments d’une controverse qui suit inévitablement toute publication audacieuse. Nous n’appartenons pas à la mouvance “sceptique” mais à la “prudente”. C’est le prix à payer pour avoir la satisfaction de pouvoir offrir à nos lecteurs un aperçu clair et utilisable de la dernière en date des “pièces à convictions”. Nous mettons à dessein ce dernier mot au pluriel, car là est bien toute la question. Des convictions, mais une seule vérité.