Chacun a encore en tête les événements qui ont secoué la vénérable terre égyptienne au début de l’année 2011 : les manifestations de la place Tahrir au Caire, l’attaque du parlement, le départ puis la démission d’Hosni Moubarak, l’incendie des bureaux du PND (Parti national démocratique, le parti du président déchu)… Hasard, coïncidence, clin d’œil de l’Histoire : la plupart de ces événements se sont déroulés à deux pas du Musée égyptien. Bâtiment mythique, endroit fabuleux, lieu où se concentrent les quelque sept mille ans d’existence d’une des plus grandes civilisations connues, le Musée des antiquités égyptiennes n’est pas sorti tout à fait indemne de l’aventure. Outre qu’il a failli brûler en même temps que le bâtiment du PND, il a eu à subir les assauts des pillards. Des pièces importantes ont été volées, des vitrines et des objets ont été détériorés, mais le pire a été évité grâce au sang-froid du directeur du musée, Tarek El Awady : sachant que les voleurs s’en prendraient d’abord aux objets en or du trésor de Toutankhamon, il a tout simplement fait couper l’électricité dans les salles aveugles qui abritent le trésor. Et n’oublions pas ces courageux Egyptiens anonymes qui ont formé une chaîne humaine pour défendre l’accès au Musée. Depuis, certaines pièces ont été retrouvées (l’une d’elles dans une poubelle), d’autres circulent sans doute sous le manteau, quelque part dans le monde… Mais enfin, ce triste épisode de l’histoire de l’égyptologie est maintenant terminé ; du moins, on peut l’espérer.
Ceci dit, le vent du changement qui a soufflé sur l’Égypte aura peut-être des effets bénéfiques pour l’égyptologie également. Lors de mon dernier séjour dans la vallée du Nil, un égyptologue local me confiait en privé – et l’on comprendra dès lors que je ne puisse le citer nommément – qu’à son avis, “ils” ne voulaient pas entreprendre des fouilles dans la pyramide de Khéops parce qu’on risquerait d’y trouver des traces d’intervention extraterrestre. (Je laisse à chacun le soin d’imaginer qui sont ces “ils”, ce n’est d’ailleurs pas bien difficile…) Pour ma part, et bien que ne partageant pas cette idée d’intervention d’extraterrestres dans la construction de la Grande Pyramide, je ne pouvais que me réjouir de cette attitude d’ouverture de la part d’un scientifique issu du sérail. Cela ne faisait que confirmer ce que je constate depuis que je m’intéresse aux sujets interdits : nombre d’archéologues admettent l’existence de mystères touchant aux civilisations disparues… mais en privé, et en privé seulement. “Je suis d’accord avec vous”, m’avait un jour déclaré, à propos de l’âge de l’Osireion d’Abydos, un ponte de l’égyptologie belge, qui avait aussitôt ajouté : “mais je ne puis le déclarer officiellement.”
Quelle n’a donc pas été ma surprise lorsqu’en janvier 2011, Zahi Hawass, alors secrétaire général du Conseil suprême des Antiquités égyptiennes, s’est fendu d’un très théâtral : “Nous nous préparons à percer le mystère de la Grande Pyramide”, précisant même : “Je pense que la chambre secrète du pharaon Khéops s’y trouve encore cachée.” Pour nous, à Kadath, et pour beaucoup, beaucoup d’autres, l’existence de cette chambre cachée est depuis longtemps une quasi-certitude. Les indices qui plaident en faveur de cette hypothèse sont tellement nombreux, tellement concordants, que la décision d’entreprendre de véritables fouilles paraît être la seule solution raisonnable. Ceci dit, cette annonce du patron des antiquités égyptiennes est-elle réellement une surprise ? A première vue oui, puisque l’initiative de Zahi Hawass semble aller à l’encontre de la position officielle, celle des mandarins dont je parlais il y a un instant. Mais finalement, l’attitude de monsieur Hawass n’est pas si surprenante, lorsqu’on connaît les liens qui l’unissaient à feu Hugh Lynn Cayce, le fils du célèbre médium américain Egdar Cayce (1877-1945). Celui que l’on appelait “le prophète dormant” avait, entre autres, affirmé l’existence de structures cachées, bâties dans le sous-sol du plateau de Gizeh par des rescapés atlantes.
Evidemment, depuis cette annonce fracassante, de l’eau a coulé sous les ponts du Nil. En l’espace de quelques mois, Hawass, l’homme au chapeau, a successivement été nommé ministre d’Etat, “démissionné”, réintégré en tant que ministre des Antiquités, évincé après quelques semaines, rappelé à nouveau aux affaires, cette fois en tant que secrétaire d’Etat aux Antiquités, et finalement remercié à nouveau. Telle est du moins l’état de la question au moment où j’écris ces lignes, mais rien ne dit que la situation ne connaîtra pas de nouveaux bouleversements dans les mois qui viennent. Mais peu importe finalement. Car, maintenant qu’il est lancé, le beau projet de celui que l’on surnomme “l’Indiana Jones de l’égyptologie” pourra peut-être être freiné, voire momentanément stoppé, selon l’évolution de la situation politico-archéologique. Mais il paraît impensable qu’il puisse être définitivement abandonné, que Zahi Hawass soit ou non aux commandes. Ce n’est plus une question de personnes, c’est une juste une question de temps. D’autant que les plus récentes recherches sont en train de relancer complètement l’intérêt pour la pyramide de Khéops. Je veux bien sûr parler de l’exploration à épisodes des conduits dit “d’aération” qui s’ouvrent dans les parois nord et sud de la chambre de la Reine. Jusqu’en 1993, on ne savait rien de ces tunnels, les sondages effectués n’ayant pu dépasser les premiers mètres. Tout ce que l’on pouvait dire, c’est qu’ils ne débouchaient pas à l’air libre, contrairement aux conduits de la chambre du Roi. Mais cette année-là, l’ingénieur allemand Rudolf Gantenbrink entreprit d’explorer le conduit sud à l’aide d’un petit robot muni d’une caméra, qu’il avait baptisé Upuaut, en référence au dieu Oupouaout, “celui qui ouvre les chemins”. Après quelque 63 mètres d’une progression difficile dans cet étroit tunnel de section carrée (22 x 22 cm), le robot avait buté sur une dalle en calcaire fin de Tourah, que l’on supposait être une porte. Deux pièces en métal – sans doute du cuivre –, y étaient fixées, celle de gauche étant cassée. Qu’y avait-il derrière cette porte ? Les spéculations allèrent bon train, couvrant tout le spectre des possibilités, depuis le “rien du tout” laconique du directeur de l’Institut allemand d’archéologie du Caire, jusqu’à la chambre secrète bourrée de trésors… Une première réponse fut apportée en 2002, lorsqu’un nouveau robot réussit à forer un petit trou dans la porte, découvrant une chambre fermée par une autre dalle.
Et voici qu’une nouvelle exploration nous permet aujourd’hui d’en savoir davantage sur cette mystérieuse cavité. Un engin plus perfectionné est en effet parvenu à introduire une caméra flexible dans le réduit, révélant la face arrière de la porte, tout aussi polie que la face avant. On y voit que les pièces de métal traversent la dalle de part en part et que, côté intérieur, elles se terminent par une sorte de nœud que l’on suppose, faute de mieux, être ornemental. Ensuite, contrairement à la porte, la dalle du fond est d’une finition assez grossière, et l’on pense qu’il s’agit d’un simple bloc, élément de la masse de la pyramide. Dans cette hypothèse, il n’y aurait donc plus rien à découvrir derrière cette pierre. Et enfin, il y a ces hiéroglyphes peints en rouge, sur le sol de la chambre. On estime qu’il s’agit de marques de carrier, par analogie avec les marques découvertes dans les chambres de décharge de la chambre du Roi. Cela semble d’autant plus vraisemblable qu’une marque à l’encre rouge a été repérée dans le couloir même, sur un décrochage vertical de la paroi1.
L’énigme du conduit d’aération est-elle à présent résolue ? Non, évidemment. Car on ne sait toujours pas à quoi sert cette mini-chambre. La seule chose que l’on puisse dire, c’est qu’elle fait partie d’un ensemble, au même titre que les conduits eux-mêmes, et que ceux-ci sont orientés astronomiquement2. Pour le reste, on en est réduit aux suppositions. On a ainsi avancé que la “porte” était en réalité un “opercule de chantier” muni de ses poignées métalliques. Dans cette hypothèse, ce bouchon avait pour fonction d’empêcher les gravats de pénétrer dans le conduit, alors que le chantier se situait à hauteur de son extrémité. Une fois les travaux achevés, l’opercule était déplacé vers une autre partie du chantier3. Mais alors, pourquoi avoir laissé ce bouchon en place ? Et pourquoi avoir pris un tel soin à sa finition – souvenons-nous qu’il est fait de calcaire fin, celui-là même utilisé pour le revêtement de la pyramide, et que les deux faces sont soigneusement polies – s’il s’agissait d’un simple élément provisoire ? Quant à la pierre du fond de la cavité, marque-t-elle vraiment la fin du voyage ? Et s’il y avait malgré tout une autre chambre derrière ? C’est une évidence : au point où en sont les choses, il n’est plus possible de déclarer comme naguère que “la Grande Pyramide n’a plus rien à nous apprendre”. Quelle qu’aient été ses motivations, Zahi Hawass a provoqué un battage médiatique tel que le monde entier attend maintenant des actes concrets, pour tenter de percer les mystères du plateau de Gizeh.
Oui, il y a décidément du changement dans l’air égyptien. Je ne veux pas dire que la nouvelle attitude des autorités égyptiennes soit la conséquence directe des événements de la place Tahrir. D’ailleurs, l’annonce du projet Khéops par Zahi Hawass est antérieure aux mouvements sociaux qui ont enflammé le pays. En réalité, plutôt que de causalité, il faudrait parler de synchronicité, telle que l’a définie Carl Gustav Jung. Comme le dirait la sagesse populaire : c’est dans l’air du temps !
Hooper R., 2011, « First images from Great Pyramid’s chamber of secrets », New Scientist magazine, 2814. ↩
Pour une description détaillée de ces orientations, voir : Verheyden I., 2000, « Le robot Upuaut, la dalle et les conduits », Kadath, 94. ↩
Dormion G., 2004, La chambre de Khéops – Analyse architecturale, Fayard, Paris. ↩