Au sommaire du numéro 95 de Kadath

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Ce numéro s’ouvre sur un important «cahier précolombien » qui regroupe trois articles. Le premier est consacré par Lawrence F. Athy Jr. au port de la barbe chez les Indiens d’Amérique du Nord et du centre. Car il faut bien constater que les Indiens n’étaient pas barbus, et qu’ils détestaient les poils sur le visage au point de s’arracher la maigre pilosité qui y apparaissait. Mais alors, que faut-il penser de ces hommes barbus régulièrement présents dans l’art olmèque et maya ?


Figurine en argile représentant un personnage barbu.

Le deuxième article du dossier examine la question des momies blondes et des dieux blancs du Nouveau Monde. Ceux-ci comme celles-là ne sont pas rares, qu’il s’agisse de la momie blonde d’un enfant découverte en Argentine et datée de 200 avant notre ère ou des dieux blancs venus de l’orient évoqués dans de nombreuses légendes d’Amérique précolombienne. Au passage, Demetrio Charalambous évoque d’intrigantes énigmes telles l’art d’amollir la pierre et les écritures autochtones.

Figuration de la “déesse-oiseau” sur des vases à masque néolithique.

Durant l’époque préhistorique, plusieurs millions de kilogrammes de cuivre natif ont, selon les calculs, été extraits du sous-sol de la région des Grands Lacs américains. Et James L. Guthrie de constater que ce volume est un millier de fois plus important que la quantité retrouvée sous forme d’outils façonnés. Se pose alors la question : où est donc passée la plus grande partie du cuivre extrait ?

Faucon en cuivre de la culture Hopewell d’Ohio.

Il n’y a pas que des pyramides en Égypte : on y trouve aussi des mégalithes ; eh oui, là aussi ! C’est plus précisément à Nabta Playa, dépression située en plein désert de Nubie, que l’on a découvert des dizaines de mégalithes : cercles, tumulus et alignements. Ivan Verheyden fait le point sur ces mégalithes oubliés du Sahara, érigés là par une population dont on ne sait pratiquement rien à l’heure actuelle.

À la découverte de Nabta Playa.

Moïse était un Egyptien, noble de surcroît, qui fut proscrit et dut s’enfuir d’Égypte. Cette hypothèse est désormais admise par la plupart des chercheurs. Mais comment expliquer qu’un prince égyptien proscrit ait emmené dans sa fuite un groupe d’Israélites ? Pour répondre à cette question, Jean Faucounau fait appel à deux événements à première vue fort éloignés l’un à l’autre : la catastrophe de Théra et la révolte du pharaon Amenmèses.

Scène du tombeau de Ramsès Ier.

À noter encore dans ce numéro : des notules kadathiennes sur le Woodhenge de Stanton Drew, le Seahenge de Holme-Next-The-Sea et «l’ hélicoptère » d’Abydos ; une critique du livre «L’eau et ses mystères – L’Atlantide ».


LE ‘WOODHENGE’ DE STANTON DREW

À Stanton Drew dans le Somerset, à une dizaine de kilomètres au sud de Bristol (côte ouest), se dresse le deuxième plus grand cercle de pierres d’Angleterre après celui d’Avebury (non loin de Stonehenge, 65 km vers l’est). L’ensemble du site est constitué de trois cercles comportant 56 pierres au total (certaines pesant jusqu’à 15 tonnes), les vestiges de deux avenues mégalithiques, une pierre excentrée (sans doute ce qui reste d’un autre groupe), et enfin un cove, probablement les ruines d’une façade de tombe mégalithique. Le plus vaste des cercles a un diamètre de 112 mètres. En 1997, l’Ancient Monuments Laboratory de l’English Heritage (équivalant à nos Monuments et Sites) y effectua des mesures magnéto-métriques de routine. On disposait alors d’appareils dotés d’une sensibilité qu’on n’envisageait pas quelques années auparavant. Le sol étant magnétisé par le champ magnétique terrestre, la résistance mesurée sera plus basse ou plus élevée, selon les cas, par suite de légères modifications de terrain ; des altérations cent mille fois inférieures au champ magnétique terrestre pouvaient maintenant être décelées par rapport au sol environnant. C’est ainsi que des poteaux de bois ont une résistance magnétique très faible, mais les trous qu’ils laissent peuvent par contre livrer des anomalies magnétiques positives. Ceci est dû au fait que des bactéries magnétotactiques qui prolifèrent sur le bois pourrissant peuvent, à la longue, conduire à des concentrations locales de magnétite biogénique, et celle-ci va persister longtemps après que le bois ait dépéri. (À noter toutefois que le remplissage des trous par de la terre ou des dépôts de bois carbonisé aura le même résultat, auquel cas seules des fouilles pourront trancher.)

WoodhengeLe 11 novembre 1997, l’archéologue en chef Geoffrey Wainwright pouvait révéler ce que ces mesures de routine avaient mis en évidence. D’abord, que le Grand Cercle de Stanton Drew est entouré d’un énorme fossé, large de 5 à 7 m et d’un diamètre de 135 mètres. Ce qui positionne le monument au sein d’un henge, au même titre que Stonehenge et Avebury (Wiltshire) ou Brogar (Orcades). À l’intérieur du cercle de mégalithes, de petites anomalies magnétiques séparées (discontinues, contrairement à des fossés) révèlent la trace de 400 à 500 trous de poteaux en chêne, d’un diamètre de 1m et enfoncés jusqu’à 4m de profondeur, disposés en neuf cercles concentriques ; un couloir mène au centre, où se retrouvent encore cinq trous plus grands. Ce sont là les vestiges d’une énorme construction, d’un diamètre de 91 mètres. Des calculs fournissent une estimation d’au moins 8m pour la hauteur des poteaux, ce qui leur confère un poids moyen de 5 tonnes. L’édifice était probablement trop grand pour avoir pu être recouvert.

Le Grand Cercle mégalithique de Stanton Drew a donc été érigé exactement à l’endroit où se dressait d’abord un cercle de poteaux de bois, ce qu’on appelle un woodhenge. On en connaissait jusque-là sept, tous spécifiques de la Grande-Bretagne : les plus connus sont ceux de Durrington Walls, Overton Hills (the Sanctuary) et Woodhenge, tous trois dans le Wiltshire voisin. Mais Stanton Drew était deux fois plus grand que n’importe quel autre : les poteaux y étaient plus hauts et plus nombreux. Sa construction remonterait à -3000, à peine deux siècles après le premier monument de bois qui fut à l’origine de Stonehenge.

L’Angleterre était une île depuis -6000, peuplée d’un million d’habitants parmi lesquels se constituaient, depuis 1500 ans, les premières tribus d’agriculteurs. Les cercles de bois ne seront abandonnés, au profit des mégalithes, que vers -2500. D’aucuns pensent que la déforestation croissante en serait la cause, mais c’est oublier que pour transporter et hisser des mégalithes, il faut toujours autant de bois... En définitive, de nouvelles fouilles ne sont pas envisagées à Stanton Drew, les mesures magnétométriques ayant suffisamment révélé ce que cachait le sous-sol et tout ce qu’il est possible d’en tirer quant à la construction du monument.

Sur les henges, lire dans Kadath n° 85 : “Enseignements récoltés dans les henges des îles Britanniques.” Sur Avebury et Woodhenge, voir dans Kadath
n° 4 : “Il n’y a pas que Stonehenge.”


LE ‘SEAHENGE’ DE HOLME-NEXT-THE-SEA

Un autre néologisme est venu enrichir récemment le vocabulaire archéologique : “seahenge”, entendez par là un cercle cri bois apparu sur une plage à marée basse. C’est en août 1998 qu’en surgit un à Holme-next-the-Sea dans le nord du Norfolk, toujours en Angleterre (côte est au-dessus de Norwich), émergeant de la tourbe qui le recouvrait de moins en moins par suite de l’érosion des marées. Au départ, le cercle avait été érigé dans un marais d’eau douce, protégé de la mer par une barrière de dunes. Il est constitué de 55 poteaux disposés en cercle autour de la souche d’un chêne déraciné. Les fouilles ont permis de restituer la procédure mise en ouvre. D’abord, le chêne fut débité de sa partie supérieure à la hache et des trous de halage furent creusés dans la partie inférieure du fût. Ceinturé d’une corde en fibres de chèvrefeuille tressées, il fut halé jusqu’au marais où l’attendait une fosse. Le tronc fut basculé dans le trou, racines vers le haut. Il fut entouré d’un fossé ovoïde, de 6,60m de diamètre au plus, dans lequel furent plantés les 55 poteaux en chêne.

Sea-HengeComme ce seahenge était de toute manière condamné, il fut entièrement dégagé, sous la direction de Mark Brennand, et transféré fin 1999 aux laboratoires de Flag Fen près de Peterborough, pour y être étudié. L’application combinée du carbone-14 et de la dendrochronologie (l’analyse des cernes du bois) sur les vestiges aboutit à une datation absolue des deux composantes : le chêne, lui-même vieux de 167 ans, avait été abattu au cours du printemps de -2050 et les bois des poteaux formant le cercle débités au printemps suivant (Nature du 2 décembre 1999). Certains ont cru pouvoir faire remarquer que, jusqu’à la découverte de cette souche de chêne plantée au milieu du seahenge, on ignorait tout de l’origine de cavités retrouvées généralement au centre des cercles de pierres mégalithiques, laissant entendre par là que la solution était toute trouvée C’est oublier un peu vite que, en -2050, nous nous situons déjà à l’Age du bronze et que les cercles authentiques, qu’ils soient de pierre ou de bois, remontent au Néolithique. Le seaheange de Holme semble plutôt être une curiosité locale — un monument à un chêne doté d’une identité spirituelle ? — ou au mieux le vestige abâtardi d’une tradition bien plus ancienne. Si celle-ci impliquait des chênes renversés, nul ne peut le dire, mais gageons quand même qu’on en aurait retrouvé les traces concrètes au sein des cercles de pierres ! Et ce n’est pas la découverte, en août 2000, d’un autre seahenge non loin du premier qui changera la donne : il s’avère tout simplement que l’estuaire du Humber fut, au cours de l’Age du bronze, un important centre rituel symbolisant peut-être, par sa localisation marginale entre terre et mer, la séparation entre le monde des morts et celui des vivants. Pour la petite histoire, il faut ajouter que, malgré les protestations des néo-druides contre le non-respect d’un lieu sacré, le seahenge de Holme devait être restauré et présenté au public. Mais... aucun musée ne se porta acquéreur, par crainte des frais d’entretien, et donc le “monument” devait être réenfoui non loin de son emplacement d’origine. Jusqu’à l’apparition du second seahenge, où l’English Heritage, en application du salutaire principe de “courage, fuyons !”, abandonna le projet tout à fait officiellement le 25 avril 2001...


L’‘HÉLICOPTERE’ ET AUTRES ENGINS D’ABYDOS

En 1997 parut dans une revue ufologique appelée Mufon UFO Journal — par ailleurs considérée comme relativement sérieuse dans ces milieux — la communication d’une certaine Dr Ruth McKinley-Hover, membre de l’équipe. Cette psychologue et hypnothérapeute, spécialiste des “enlèvements” par les ovnis, revenait d’Égypte avec un lot de photos qui firent rapidement le tour du monde via le web. Les illustrations en question étaient toutes tirées d’un groupe de hiéroglyphes, eux-mêmes décorant l’architrave dans la salle hypostyle du temple de Séthi Ier, à Abydos en Haute-Égypte. Les photos de détail étaient censées montrer un hélicoptère, un sous-marin et une forme d’aéroplane, rien que ça !

Le court texte d’accompagnement fourmille d’erreurs : 1) les hiéroglyphes sont soi-disant vieux de 5000 ans, alors que le temple remonte aux alentours de 1300 avant notre ère ; 2) ils auraient été découverts récemment et demeureraient indéchiffrés, alors qu’ils sont déjà recensés dans le compte-rendu de l’expédition de Richard Lepsius en 1842-45 ; 3) leur découverte aurait entraîné la fermeture du temple, le temps que les experts les aient étudiés : mais non, des travaux de restauration sont en cours et, de toute manière, la Haute-Égypte est toujours un fief d’intégristes responsables des attentats contre les touristes, ce dont le pays est victime depuis le début des années 1990.

HelicoptereLe consensus se fit cependant assez rapidement parmi les réactions sollicitées par les chasseurs de mystères anciens(dont il n’y aaucune honte à faire partie, pourvu que la démarche soit honnête et ouverte). On notera cependant que certains égyptologues révélèrent à cette occasion leur étroitesse d’esprit en s’empressant de dénoncer “des hiéroglyphes modifiés numériquement”, sans se donner la peine de les lire, ce qui leur aurait immédiatement livré la bonne explication. Car le bout de frise en question est tout simplement ce qu’on appelle un palimpseste, par analogie avec ces manuscrits du Moyen Âge dont on effaçait le texte pour réécrire par-dessus : malgré tout, l’effacement n’était pas complet et des portions demeuraient souvent encore lisibles. Ici de même. Lors de la succession du pharaon, des hiéroglyphes originaux étaient recouverts d’une espèce de plâtre, et de nouveaux signes gravés dans la surface. Par suite de l’érosion — visible nettement sur la pierre ailleurs dans le temple —, le plâtre s’effrite et tombe par endroits, laissant voir des inscriptions où des morceaux de l’ancienne et de la nouvelle se chevauchent. D’où des images parfois bizarrement modernes. Ici en l’occurrence, c’est Ramsès II — connu pour avoir eu un bon ego — qui fit graver sa quintuple titulature par-dessus celle de son père Séthi Ier. L’un des titres, le “nom de nebti”, est “Celui des Deux Epouses” suivi de la mention “qui repousse les neuf arcs (les ennemis de l’Égypte)”, dans le cas de Séthi Ier, et qui fut remplacée à l’avènement de Ramsès II par “qui repousse les neuf pays étrangers”. Et le soi-disant hélicoptère est l’addition d’une partie de chacun des hiéroglyphes superposés après le neuf (pdt= arcs, et h3st = pays étrangers), desquels des portions sont de surcroît effacées par l’érosion. Apparemment, le Dr Ruth McKinley-Hover avait été elle-même hypnotisée, non par les extraterrestres, mais par sa propre interprétation. Il y a suffisamment de vrais mystères à élucider en Égypte sans qu’il faille encore en inventer.